« Pour faire ces courts métrages sur Istanbul, on avait piqué une partie de la pellicule de Robbe-Grillet. Pas énormément, mais enfin, il y avait de quoi faire largement une demi-douzaine de courts métrages. J’aurai même pu faire un long métrage, ce qui aurait été plus rigolo. Dommage... Ces documentaires faits à Istanbul étaient muets, sonorisés par la suite avec un commen- taire. En fait, j’avais de quoi faire un long métrage et je ne l’ai pas fait. Bon, l’équipe était composée de quatre personnes... Mais j’avais un sujet, c’était un poème de Nazim Hikmet, que j’ai d’ailleurs utilisé dans un autre court métrage qui, à mon avis, est le meilleur : Maître Galip. Mais je ne l’ai pas vu depuis 20 ans. (...) Maître Galip est le seul qui corresponde à ce que j’aurais pu faire à l’époque dans ce genre-là, sans le commentaire un peu pompeux qui l’accompagne, car je ne pense pas que ce soit ce qu’il y aurait eu de mieux à faire. C’est vraiment du reportage, mais du repor- tage plutôt architectural que documentaire ou sociologique. Je racontais vaguement des histoires, des faits historiques comme la prise d’Istanbul... » Maurice Pialat, entretien avec Serge Toubiana, France Culture, janvier 2002.
Un championnat de lutte traditionnelle, avec des hommes enduits de graisse et vêtus d'une épaisse culotte de cuir. Dans l'enceinte de cette compétition, des danseuses du ventre se donnent en spectacle. De tous les films de la série, il est le seul à aborder de front érotisme et sexualité. Beauté virile du corps masculin dans sa puissance et sa force (hommes entre eux), et offrande érotique du corps féminin (timide strip-tease qui rappelle qu'Istanbul, avec Beyrouth, a été la Babylone du Moyen Orient) pour émoustiller un parterre d'hommes qui préfère la compagnie des femmes à celle des lutteurs.
Pascal, serviteur stylé, est dévoué à son maître, Ruby Alcow, qui aime faire de l'escrime et de la corde à sauter avant de prendre son déjeuner et de se rendre à la fabrique, dont il est enfin le sous directeur, vingt ans aprés avoir échoué à cinq reprises à son baccalauréat. Le plus muet des films muets de Maurice Pialat tant cette farce de patronage conçue pour la fête de fin d'année d'Olivetti,où le cinéaste est alors représentant, rend hommage sur fond de musique de jazz au burlesque (course poursuite, images en accéléré, mimiques et roulements d'yeux), dans un esprit anarcho-dadaïste proche du cinéma de René Clair (Entr'acte). À signalerque Pialat s'octroie le gag chaplinien du film : renverser le contenu de son verre dans son pantalon.
Les images accompagnent le texte de Gérard de Nerval qui évoque la ville des sultans et des harems, celle des mosquées et de l'Islam. Tout un art de vivre (pas pour toutle monde : la misère en coulisse) dont la tradition des goûteurs d'eau (l'eau du Nil de 1833, réputée la meilleure) exprime le raffinement. Un temps où différentes communautés (Turcs, Grecs, Arméniens, Juifs) vivaient en bonne entente.
Le plus beau film de la série, sur des poèmes de Nazim Hikmet (« J'ai 60 ans, si je pouvais vivre cinq ans encore »). Les images n'illustrent pas les poèmes (quand il est question des « pluies de printemps », il ne pleut pas à l'image) mais retrouvent, dans les visages en gros plan, l'atmosphère de la ville, en écho aux accents de tristesse résignée du poète.
« Il n'est pas question des fastes de Byzance mais de la chute de la ville par le sultan (1451-1453) et de son pillage. De lents travellings sur les ruines de la citadelle et ses remparts racontent cette perte et ce basculement de l'Orient gréco-latin à l'Orient musulman (…). Sur des images d'un bas-relief aux visages érodés par le vent et sur fond de cantique (un «Alléluia »), la voix conclut : « L'Europe s'aperçoit en frémissant que par sa sombre négligence une puissance envahissante a fait irruption chez elle, puissance qui paralysera ses forces pendant des siècles. »
« Des films de la série, il est le plus classique, par son harmonie entre la voix et l'image, et le plus pictural (plans de la rive sous la brume, bateaux de pêcheur sur l'eau,composés comme des tableaux de paysage). À l'opposé d'Istanbul, qui présente la vie de la ville, il évoque son passé superposé (Byzance, Constantinople, Istanbul) en présentant différents sites et monuments (remparts, mosquées). Le texte de la voix off n'a rien perdu de son actualité. (...) ».