Sexe et cinéma
Parce qu'il est un art de l'enregistrement du visible, le cinéma a tout à voir avec l'obscénité pornographique. Dans un siècle où l'évolution du discours sur la sexualité s'est forgée autour d'une certaine idée de vérité, les images ont acquis, en matière de sexe, une puissance révélatrice (au sens photographique) décuplée. Depuis Le Baiser filmé par Edison jusqu'aux plus récents films "hard", le sexe a toujours constitué un puissant sujet d'intérêt pour le septième art. On peut raisonnablement penser que, dès que cela a pu être techniquement possible, très tôt sans doute, avec la caméra des frères Lumière peut-être, on a voulu filmer des actes sexuels. Très tôt, en tout cas, dans les maisons closes, industries florissantes en France jusqu'à l'adoption de la loi Marthe Richard en 1947, quelques amateurs produisirent et diffusèrent d'authentiques courts métrages pornographiques. Ces bandes paillardes, en détournant les ficelles du vaudeville ou du théâtre de boulevard, faisaient la joie des amateurs de bordel venus s'échauffer en les visionnant. Certes le cinéma commercial, industriel, a toujours, jusqu'à la fin des années 70, évité la monstration directe d'un authentique rapport sexuel, incluant les organes génitaux en action des protagonistes. Bridé par les normes de représentation en vigueur. le sexe a alors fait l'objet d'une restitution détournée ou métaphorique. Le feu de cheminée qui se consume dans Le Diable au corps de Claude Autant- Lara pendant que les amants font l'amour hors-champ, le train qui entre dans un tunnel lorsque les époux se rejoignent sur la couchette d'un wagon-lit dans La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock sont autant de manières détournées de figurer l'infigurable : l'acte sexuel. Il y aura tout un rituel du dévoilement des corps, toute une rhétorique du caché et du montré qui va, tout en évoluant, déterminer la représen- tatien du sexe à l'écran. Précédée de la vogue du cinéma sexy, la diffusion d'un cinéma hard-core, c'est à dire représentant des actes sexuels non simulés, correspond certes à une époque dite de la Libération sexuelle. En un temps où le public devient de plus en plus sceptique, où il perd la foi, le cinéma atteint l'authenticité des comportements filmés. Désormais on baisera vraiment devant la caméra. Ces nouvelles tendances de l'érotisme cinématographique vont totalement bouleverser la façon de filmer le sexe. Comme Hitchcock l'avait bien compris dans son interminable baiser des Enchatnés, un certain degré d'intimité postule une place inédite pour le spectateur. Comment concilier l'identification avec la différence sexuelle ? Comment concilier l'exigence de la vision la plus parfaite et du réalisme le plus indiscutable, condition sine qua non, de l'efficacité pornographique ?
A partir du milieu des années 80, la pornographie filmée, contingentée par une réglementation financière (la fameuse loi "X") qui l'a cloîtrée dans le ghetto des salles spécialisées, se voit consommée massivement à domicile. La vidéo, en transformant le statut de l'image porno- graphique, a transmué l'image publique en image privée sur laquelle le discours idéologico-moral de la censure n'a guère de prise. Aujourd'hui le sexe cinématographique se voit écartelé entre deux directions provoquées par la lassitude ressentie face à vingt ans de conventions et de figures imposées. D'un côté, une volonté esthétique s'affirme qui veut artificialiser l'érotisme par les corps siliconés, le montage morcelé et les expériences formelles. De l'autre, l'expansion de la vidéo légère a produit, avec l'explosion du porno dit "amateur" un surcroît de naturalisme et l'intrusion de l'aléatoire et du réelle plus cru, le moins médiatisé. Le sexe au cinéma a encore de grands jours devant lui : tant que l'on voudra voir des actes sexuels. Et franchement qu'y a-t-il de plus intéressant à regarder ?
Jean-François Rauger