"La musique, pour moi, c'est du paysage. C'est de la confiture. Ceci dit, moi j'aime bien la confiture. C'est bon : elle adoucit les mœurs." Jean-Luc Godard
A ceux qui considèrent que la musique n'a pas vraiment sa place au cinéma, il suffira de rappeler que le cinéma a été musical bien avant d'accéder à la parole, des musiciens accompagnant les films en direct dans la salle à l'époque du muet. L'une des fonctions de la musique était alors de couvrir le bruit de l'appareil de projection. Mais l'avenir allait donner tort à ceux qui réduisaient la musique à ce rôle utilitaire. Le premier film parlant, Le Chanteur de jazz, était en réalité un film chanté. Ce qui poussa les frères Warner à s'intéresser au procédé de synchronisation était "le souci de perfectionner l'accompagnement musical (...) plutôt que l'idée de faire parler les acteurs"(1). Et les premières années du parlant sont riches d'œuvres expérimentant avec bonheur les différents liens entre images et musique : chansons et chorégraphies filmées, enregistrement d'interprétations de morceaux de musique classique (ou cinéphonies), actualités mises en chansons. Peut-être l'élément musical rendait-il moins violente l'irruption du son à l'écran que ne le faisait la parole, "comme s'il y avait, dans le parler synchrone, une sorte de grossièreté et surtout une servitude réaliste, que pouvait encore tempérer ou sublimer un accompagnement musical"(2). Toutes ces initiatives inventives n'empêcheront pas que la musique conserve un petit goût de péché au cinéma, mal nécessaire ou facilité dont il ne faut pas abuser. L'un des plus grands compositeurs de musiques de films, Maurice Jaubert, dira lui-même en 1936 : "Nous ne venons pas au cinéma pour entendre de la musique. Nous demandons à celle-ci d'approfondir en nous une impression visuelle." Très vite, les réalisateurs ressentiront le besoin de justifier, de manière réaliste, son existence : si l'on entend des chansons, c'est parce que l'on est dans une boîte de nuit (Romances et sambas de J.J. Delafosse) ou dans le milieu du spectacle (Le Petit Chemin de Maurice Diamant-Berger). Mais les films les plus riches sont très certainement ceux qui explorent la ligne de frontière entre la musique ancrée dans la réalité et celle qui ne rest pas, mettant en scène l'ambiguïté d'un monde comme le fait Antoine Toë dans Mon vieil ami Richard. Le cinéaste français ayant utilisé avec le plus de talent et de créativité la forme musicale est sans aucun doute Jacques Demy, qui a su prouver que le genre de la comédie musicale n'était pas réservé à Hollywood. Sans être allé aussi loin dans l'utilisation de la musique au cinéma, beaucoup d'autres cinéastes français ont montré leur attachement à l'élément musical : Max Ophuls met en scène des cinéphonies (Ave Maria de Schubert et Valse brillante de Chopin), Claude Lelouch réalise des scopitones, Patrice Leconte s'interroge sur les pensées du Batteur du Boléro de Ravel, François Ozon se joue du spectateur sur une chanson de Sheila (Une robe d'été)... La chanson populaire, art de l'évocation furtive et impressioniste comme peut l'être le cinéma (d'autant plus lorsque l'on exploite sa forme brève...) réussit, en quelques minutes, à transmettre quelque chose de l'air du temps. Ce n'est certainement pas un hasard que l'impératif de la série "Tous les garçons et les filles de leur âge" était d'introduire une scène de danse dans chacun des films. Ce n'en est pas non plus un que nous ayions décidé de finir cette nuit enchantée par l'un des épisodes de cette série : Travolta et moi de Patricia Mazuy Nous n'avons pas résisté au plaisir de vous montrer l'un des plus beaux longs métrages de ces dernières années, qui n'a hélas pas pu sortir en salles du fait de droits musicaux trop élevés.
Claire Vassé
{1) Michel Chion, Le Son au cinéma, Editions de l'Etoile, p.156. (2) Michel Chion, op. cil;, p.180.