Vivre sa vie (de cinéaste...) Rester libre de faire les films que l'on souhaite réaliser est aujourd'hui un désir de fou. J'ai produit et réalisé mes premiers films courts. À l'époque, j'avais si peu d'argent pour vivre que j'envoyais mes films dans les festivals où le prix était sonnant et trébuchant. Le jury ne savait pas qu'en me remettant le chèque de quelques sous, il me permettait de vivre et faire vivre ma famille quelques mois de plus.... Après avoir fait 4 court-métrages et remporté quelques prix renommés, je pensais qu'il me serait facile de faire mon premier long métrage. Tout le long d'une année, je ne cessais d'envoyer des projets à toutes les commissions possibles pour récolter de l'argent. Je passais 5 fois en pleinière de différents organismes (comme le CNC), mais ne récoltait rien. Jamais aucun de mes longs métrages ne reçu un centime de subvention avant réalisation ! Je tentais alors un truc de malade : avec l'équivalent de 20000 euros, je produisis et réalisais un scénario que je venais tout juste d'achever: "Sélect Hôtel". Il alla à Cannes, remporta de nombreux prix en France et à l'étranger. J'étais alors certain qu'on me laisserait enfin la liberté de m'exprimer. Pour mon second film, "Zonzon", j'engageais un tout jeune comédien totalement inconnu, Jamel Debbouze qui faisait quelques one-mans show à Trappes. Je perdis alors les deux tiers de mon budget pour l'avoir préféré à un comédien plus "bankable". "Zonzon" a été produit avec un budget de 650000 euros, et je dû le réaliser en seulement 4 semaines de tournage. Encore la folie. Malgré le succès de "Zonzon", "1999 Madeleine" fut produit avec 450000 euros et 5 semaines de tournage. Je n'ai jamais eu d'aussi bonnes critiques pour un de mes films et aussi peu de spectateurs dans les salles. Allez comprendre pourquoi. Mais je m'entêtais à vouloir l'impossible. J'ai adapté avec le talentueux Gilles Taurant "24 heures de la vie d'une femme". On m'a tout de suite fait comprendre qu'un petit gars de Barbès Rochechouart comme moi ne devait pas venir "jouer dans la cour des grands" ! Ce fut à l'étranger que l'on encensa le film, où je trouvais l'appui inconditionnel de cinéastes comme Michael Mann pour me dire que je n'avais pas fait la merde infâme que certains critiques français ne se génèrent pas d'affirmer. Depuis mon premier film, j'ai toujours écrit les scénarios que j'ai amenés à l'écran. Après trois ans de refus, trois ans où je ne pouvais pas produire et réaliser de films personnels, je crus pouvoir m'en sortir en acceptant de réaliser un film que je n'avais pas écrit, "L'invité". Une comédie que je voulais réaliser à l'anglaise, simplement. Ce fut ma pire expérience cinématographique. On ne m'a laissé aucune liberté, imposer mon équipe technique, on a coupé mes plans, remonté le film, viré tout ce que j'avais réussi à faire malgré mes difficultés avec la production. Aujourd'hui encore, je ne connais pas le film fini, monté, mixé. Je ne l'ai pas vu. Dégoûté par ce désastre. Alors j'ai continué à me battre. J'ai écrit et réalisé un film pour la télévision, en toute liberté cette fois ci: "Vitrage à la corde", pamphlet anti-libéralisme qui a cartonné à l'audience. Cela m'a rassuré sur mes capacités à raconter les histoires que je voulais offrir au public. 13 jours de tournage! Encore la folie. Encore toutes ces nuits blanches à bosser comme un dingue, avec cette angoisse de ne pouvoir faire exactement ce que je souhaitais. Il faut croire que le résultat fut une réussite malgré toutes ces difficultés pour parvenir à le réaliser correctement. Cela m'a redonné assez de courage pour réaliser "Q", un film produit en totale indépendance, puisque le financement fut trouvé en dehors du circuit classique de production cinématographique qui refusa catégoriquement ce film, imaginant à l'avance que je n'étais capable que de faire un film pornographique. J'ai produit ce film avec 700000 euros avec mon co-producteur qui faillit, à cause de cela, perdre sa société de production. Toujours la folie. "Q" est un film contre le mensonge, contre les à priori, contre les préjugés. Un film que j'ai mis dix ans à pouvoir réaliser. Pour la première fois de ma "carrière", j'eu une critique unanime en France. Mis à part le "Canard enchaîné", les critiques se déchaînèrent contre moi, m'insultant, me traitant de pornographe, de pervers, de vicieux voulant "sauter" ses comédiennes. Après 20 ans à travailler comme un taré, le coup fut rude. C'est en Angleterre, aux USA, dans les pays asiatiques, et même au Maroc que je récoltais d'excellentes critiques sur "Q", me rassurant quant à la qualité de mon film, évitant ainsi de me rendre dingue. Aujourd'hui, je l'avoue, je suis fatigué de me battre contre tous ces moulins à vent, mais je continue, j'écris, je dessine, je tourne toujours. J'aurais essayé, jusqu'au bout, comme un fou.