Florence Miailhe

Il me semble qu'on ne peut regarder un film de Florence sans avoir la certitude qu'il s'agit avant tout de l'œuvre d'une peintre. Disons que la peinture saute aux yeux. En général, Florence travaille seule, enfermée dans son atelier, le tablier maculé, concentrée, hirsute. Rien de plus traditionnel, de moins industriel que la technique qu'elle a adopté : un dessin sur une feuille. Il est photographié au banc-titre, modifié, et photographié à nouveau. Et ainsi de suite, jusqu'à créer l'illusion du mouvement. Une fois la feuille saturée de couleurs, il est temps de changer de plan. Chaque scène est un tableau qui se dessine ainsi, par recouvrements progressifs. On peut en voir dans les expositions qui lui sont consacrées, de ces tableaux finis, qui portent matériellement en eux, toute une histoire. La méthode a pu évoluer, le grattage succéder au recouvrement, le processus est resté le même. Faire, refaire, refaire, refaire, refaire… jusqu'à ce qu'au bout du compte apparaisse l'œuvre, comme la somme triomphante de tous ses repentirs. Ce que montrent, par leur seule technique, les films réalisés à ce jour, c'est le travail du temps. C'est du moins l'idée que j'ai fini par me faire.

Nous avons passé des heures à bavarder chez elle en buvant du café en poudre, c'était l'époque où elle fumait encore et nous remplissions les cendriers. Nous considérions qu'il s'agissait de séances de travail. Après avoir évoqué nos familles, maris et enfants, nous échangions des propos qui se ressemblaient sur la difficulté qu'il y a à concilier la pratique d'un art et l'organisation du quotidien. Je considérais que les difficultés étaient plus grandes pour elle que pour moi, qui peut toujours construire des phrases en épluchant des légumes. L'animation demande un engagement énorme, obsessionnel, remarquait-elle comme si j'étais passée à côté d'une information importante.

Florence dit volontiers qu'elle aime les histoires. Elle les aime tant qu'elle les aime deux fois. Une fois quand elle rend visibles tous les repentirs, histoire intime de la toile, et qu'elle conserve sur l'image filmée les traces des matériaux avec lesquels elle travaille, pastel sec, craie, sable, huile… J'ai l'impression qu'elle a une sorte d'horreur pour tout ce qui, dans l'animation, relève de la propreté technique, de l'hygiène industrielle. Elle affirme qu'elle s'interdit de tout maîtriser, et qu'il lui plaît de laisser la matière agir, produire ses propres intensités, ses propres couleurs. Elle aime être surprise par la résistance d'un bleu, qui refuse de s'effacer sous un blanc. Le travail est si lent, dit-elle, et si long, que la surprise entretient le désir de poursuivre. Une autre fois quand elle décide de raconter une histoire, un récit véritable doté de sa logique et de sa chronologie. Un conte de préférence, parce que, dit-elle, les contes proposent des explications du monde auxquelles personne n'est tenu de croire, mais où chacun peut trouver des vérités universelles.

Réalisations passées à Côté Court