DURAS #4

Le film se compose d'un travelling avant à peine perceptible par lequel l'œil pénètre lentement dans un salon à colonnes pendant que défile en incrustation le texte entier de L'Homme atlantique de Marguerite Duras. Le film est réalisé à partir d'une prise de vue à l'hôtel des Roches Noires, à Trouville, où l'écrivaine avait ses habitudes et où elle écrivit certains de ses livres et tourna certains de ses films, dont celui-ci. Il y est question d'un amour finissant, du départ de l'amant et d'un film qui se tournerait à ce sujet.

Sans doute son film le plus expérimental, et aussi l'un des plus rare. Film où elle a souvent recours à l'écran totalement noir pendant plusieurs minutes répétées, comme l'ont fait aussi Debord, Monteiro ou Jarman (en bleu). Les rares images que nous voyons sont des rushes non utilisés d'Agatha. On y voit des gros plans du visage de Yann Andréa Steiner, le même déambulant dans le hall des Roches Noires de Trouville, ainsi quelques plans fixes filmant la mer. Le reste du temps, l'écran est noir. Et Duras, en voix off, livre un de ses textes cinématographiques les plus émouvants. Elle parle de la fin. De la mort qui approche, de la fin de son amour avec Yann Andréa, et de la fin du cinéma, de son incapacité à encore filmer des choses, et représenter ce qui est de l'ordre de l'irreprésentable, si ce n'est, ce qu'elle a fait, poser le cache sur le viseur de la caméra, et continuer à filmer les choses, mais dans l'incapacité totale de les montrer ensuite. Ne reste que le noir, ce trou noir qui aspire tout, et laisse la cinéaste seule face au vide le plus total et à la mort.

Réalisé en 1981, avant Dialogues de Rome, son dernier opus cinématographique, L'Homme Atlantique est l'avant-dernier film de Marguerite Duras (filmé en 1983, Les Enfants, qui lui est souvent attribué à tort, est un film qu'elle s'est contentée de superviser et qui est signé par son fils Jean Mascolo et par Jean-Marc Turine). L'Homme Atlantique est le film le plus radical de l'auteur de Hiroshima mon amour. Il est constitué partiellement de chutes de Agatha, son film précédent et, essentiellement, d'images noires. La bande sonore est la lecture par Marguerite Duras elle-même de son texte L'Homme Atlantique qui fut édité en 1982 aux éditions de Minuit. "J'avais découvert ce film au Festival International du Jeune Cinéma de Hyères et j'avais eu l'occasion de lui consacrer une chronique pour la revue Cinéma 82, dans le numéro 277, daté de janvier 1982. L'Homme Atlantique de Marguerite Duras par Gérard Courant est le filmage de ce texte au banc-titre en y intercalant des images noires." (Gérard Courant).