Auteur de courts métrages, Olivier Smolders poursuit une démarche dont la rigueur intellectuelle, le questionnement et le goût affiché pour une provocation cathartique lui confèrent une autorité singulière parmi les cinéastes de sa génération... Au cours de ses études à I'INSAS, il trouve dans l'enseignement d'Edmond Bernhard la source d'un certain nombre de postulats qui fondent son œuvre : le principe de contradiction, la condensation des images et des sons, l'orgueil et l'effacement du créateur: La fréquentation des surréalistes (Marcel Mariën et Paul Nougé, notamment) fournit également à Olivier Smolders une matière fantasmatique qu'il exploitera, par exemple, dans Point de fuite, d'après une nouvelle de Mariën. Écrivain, il consacre, en 1995, une biographie critique à Paul Nougé qui occupa une place centrale en même temps que discrète au sein du surréalisme belge. Il ne s'agira cependant jamais, pour le cinéaste, d'adaptations littéraires, il se montre surtout soucieux de tirer parti de la charge explosive des textes qu'il utilise, dans leur confrontation avec les images. Sa démarche ressort davantage de la poésie que de la prose. Elle se situe à la frontière fragile entre l'admissible et l'inadmissible, l'interdit. Là où culmine le désir. L'écriture de ses courts métrages installe une tension, souvent insoutenable, entre le texte, éveillant la nature absolue des images mentales, et, l'impression très forte des images visuelles. C'est qu'il s'agit, presque à chaque coup, de dire l'indicible, de représenter ce qui ne peut l'être.
Adoration (1986) : Sagawa, étudiant japonais vivant à Paris, tue son amie et dans un désir de possession totale, la dévore. Smolders écrit à propos du film : "Le point de départ est le sentiment, à la lecture du fait divers, que cette histoire est impossible (non crédible). Je pourrais, à la rigueur tuer celle que j'aime, la découper peut-être, la manger jamais. Cet "impossible" est une provocation". Le meurtrier a soigneusement mis en scène le crime qu'il va commettre. Il a photographié sa victime avant et après le meurtre. Il réécoute sa voix lisant un poème de Nerval tandis qu'il dévore son cadavre. Sagawa occupe la place du narrateur-cinéaste du film. La position du spectateur est ambiguë et difficilement supportable. Point de fuite (1987) : les élèves d'une classe assistent "nus" au cours d'une jeune professeur qui se voit contrainte de les imiter pour retenir leur attention. Une nouvelle fois, dans son dispositif, le court métrage piège le spectateur, avec la perversité du canular. Il pose la question de la mise à nu des corps, sa valeur cathartique lorsqu'on s'abstient de recourir à l'interprétation psychologique. C'est un exercice sur la relativité des gestes et du point de vue : une fable immorale où le regard confronté à la beauté des corps des jeunes élèves s'abandonne un instant pour se rétracter bientôt comme sous le coup d'une censure intérieure.
Seul (1989). Ce film, coréalisé avec Thierry Knauff, traite de façon violente et émouvante l'autisme. Les enfants sont approchés sans aucun commentaire. L'opacité de leur histoire nous demeure entière.
Pensées et visions d'une tête coupée (1991). Il s'agit, comme le dit Smolders, d'un "exercice spirituel'; au double sens du terme : humoristique et contemplatif, consacré à l'œuvre d'Antoine Wiertz. Ce peintre du XIXe siècle fut, tour à tour, honni et encensé par les "ânes" de la critique. Son atelier de Bruxelles est devenu un musée. Le film y plante son décor. Ce "film d'art" est l'occasion pour le cinéaste de tracer "autant un portrait de l'artiste, inspiré de la pensée romanesque de Wiertz, que celui d'un peintre imaginaire, celui qui traverse tout artiste." Les thèmes récurrents de l'œuvre de Wiertz (la violence, l'érotisme, la mégalomanie) rencontrent les sources d'inspiration du cinéaste. La visite du musée par un groupe de nains joue, à la manière d'un miroir déformant, la complicité du cinéaste et de son modèle, en même temps que se dévoile sous nos yeux leur univers fantasmatique commun.
Ravissements et La Philosophie dans le boudoir (1991). Avec Ravissements, Olivier Smolders met en scène des fragments de sainte Thérèse d'Avila. La Philosophie ranime, par la bouche des comédiens, ce texte devenu un grand classique en librairie, qui dès lors qu'il se trouve porté à incandescence et confronté aux images retrouve son insoutenable puissance visionnaire. Les deux textes sont montés sur les mêmes images : des portraits de femmes présentées de face, dans un décor dépouillé. Aucune violence ne s'y manifeste, peu de traces de ce feu brûlant la chair des mots et l'âme. Comme s'il suffisait, à l'œil de se reposer en ce décor anonyme, presque atone, pour percevoir les cris de volupté de la sainte et de Sade. Olivier Smolders prépare actuellement un long métrage : Oscar et Marie Neige. Pour une meilleure compréhension de son œuvre, on se référera, notamment, à L'éloge de la pornographie (Yellow Now, 1992) : "De plus loin que je me souvienne, écrit Smolders, toujours, c'est l'obscénité qui m'aura le plus surpris, m'étreignant soudain la gorge avec son incroyable cortège d'épouvantes et d'enchantements".
Serge Meurant