Tôt remarqué parle producteur Alexandre Kanjonkov, grand découvreur de talents qui l'engagea d'abord comme décorateur et opérateur, Starewitch s'imposa vite à Moscou comme créateur de marionnettes et réalisateur à part entière. La Cigale et la fourmi (1911), une bande de 158 mètres, distinguée par le tsar Nicolas II et tirée à 140 copies (le plus fort tirage d'une industrie naissante), fut distribuée en Europe et aux Etats-Unis. La Voix du rossignol (1923, colorié au pochoir) fut couronné à Hollywood, et William H. Hays, le terrible "tzar of the movies", tint à rendre personnellement hommage à son auteur. En 1930, un hebdomadaire parisien célébrait à égalité "l'étourdissante fantaisie" des dessins animés américains et la "vivante féerie" des poupées animées de Starewitch. Le roi lion du Roman de Renard (en cours de réalisation à l'époque) égalait Mickey Mouse !
Si, dans les premières années de son installation en France, Starewitch, cinéaste "tout terrain", eut l'occasion d'exercer ses talents d'opérateur dans diverses productions en vues réelles avec acteurs, il se voua aux ciné-marionnettes dans son pavillon studio de Fontenay-sous-Bois. En près d'un demi-siècle (entre 1920 et 1965), cet artiste-artisan polyvalent - concepteur-dessinateur-sculpteur-maquettiste-décorateur-animateur-caméraman-metteur en scène! - n'a cessé d'exercer une intense activité. Outre une infinité de projets demeu- rés inachevés (pour cause de guerre ou de difficultés financières), et divers films publicitaires, son œuvre est riche d'une trentaine de courts métrages (comportant souvent des personnages suivis) et d'un long métrage unique en son genre.
L'étonnant est que, face aux usines à images employant des centaines de spécialistes, le fol de Fontenay-sous-Bois ne disposait, pour mener à bien sa production, que du concours familial. Sa femme Anna (ancienne modiste) confectionnait les costumes des marionnettes, à qui Nina, sa fille cadette et actrice occasion- nelle, donnait la réplique, tandis que son aî- née Irène demeura longtemps l'assistante et proche collaboratrice de son père. Ce magicien est mort injustement oublié, à 83 ans, en 1965.