Gérard Courant

On connait Gérard Courant pour son Cinématon (1978-2000), composé maintenant de 2000 petits films, portraits cinématogaraphiques conçus toujours selon les mêmes règles qu'a définies le cinéaste:

  1. Une caméra sur pied. 2. Une caméra fixe. 3. Un gros plan du visage. 4. Pas de son. 5. Pas de modification de cadrage pendant le tournage. 6. Pas de changement de mise au point. 7. Une durée de 3 minutes et 20 secondes. 8. Une seule prise.
  2. Pas de coupure pendant et après le filmage. 10. La personne est libre de faire ce qu'elle veut. Mais paradoxalement l'heureux succès du Cinématon, qui est devenu un événement - il est qualifié de film le plus long de l'histoire du cinéma - cache I'importance du projet esthétique de l'auteur, ce que corrige cette présentation, à la fois du Cinématon et de nombreux autres films, organisée par le festival Côté court. L'entreprise de Gérard Courant semble bien se constituer à partir d'un travail rigoureux sur la dimension photographique du cinéma. A cette fin il utilise les techniques du collage (Marilyn, Guy Lux et les nonnes, 1976). il généralise I'utilisation de la photographie comme objet à la totalité du film (Un sanglant symbole, 1979, composé de 160 photographies filmées dans des durées variables), de même dans Les Aventures d'Eddie Turley, 1987, réalisé à partir de 2400 images fixes. (...)

La réflexion fondamentale de Gérard Courant consiste dans I'approfondissement de la problématique que pose la photographie au cinéma, c'est-à-dire l'alternance entre pouvoir d'authentification et pouvoir de représentation, entre l'analogique et le codé, entre l'écran conçu comme cadre et comme cache. (...) L'esprit qui anime les films de Gérard Courant correspond à celui du cinéma muet, bien que le cinéaste épouse les méthodes du direct et que les longs métrages soient très musicaux. La dédicace du film Cœur bleu à Abel Gance, I'influence avouée de Jean Epstein et Louis Delluc (la vague impressionniste française) sont ici fort révélatrices. Une telle intensité émotive accentue la force des repères culturels qu'il accumule : l'image de Marilyn Monroe et la musique d'Elvis Presley dans Marylin, Guy Lux et les nonnes, le personnage de Gene Tierney dans She's a Very Nice Lady. et dans la bande-son de Cœur bleu fait se côtoyer Vivaldi, Leonard Cohen, Brigitte Bardot et Johan Strauss. Cette logique a amené le cinéaste à réaliser Passions (1980-...), dont 21 parties sont maintenant tournées, et qui consiste à filmer, le Vendredi Saint de chaque année, la cérémonie de la passion du Christ dans un village isolé de I'Ardèche, à Burzet, où les villageois, depuis cing siècles, se costument pour y célébrer et perpétuer ce rite religieux. Dans ce même esprit, il a réalisé Portraits de groupe (série de 222 portraits commencée le 16 juin 1985), suite de petits films à l'exemple du Cinématon, qui présentent des gens rassemblés sous des prétextes familiaux, professionnels ou amicaux. Conçus pour être projetés en accéléré, ces portraits de groupe dégagent I'ambiance des films de famile d'antan. Il a aussi réalisé Couples (109 portraits depuis le 25 octobre 1935), présentant deux personnes ensemble, libres de faire ce qu'elles veulent : Trios (13 portraits depuis le 27 juillet 1986), "mettant en scène" cette fois trois personnes : et Lire (57 portraits depuis le 11 août 1986), où des écrivains lisent le début de leur dernier livre publié (ces derniers portraits. Contrairement aux autres, sont sonores).

Les mythes culturels qui composent les films de Gérard Courant sont davantage présentés sous le mode de la fascination que de la contestation, tout en cherchant à contrer I'aliénation. La façon adoptée par le cinéaste consiste à mettre en valeur la strate cancéreuse du système où le désir semble illimité, où les frontières sont bousculées, où passion et mort, beauté et violence se côtoient : des personnages qui magnifient le système tout en le pervertissant. Ainsi, Marilyn Monroe dans Marylin, Guy Lux et les nonnes: «J'étais le genre de fille qu'on retrouve morte dans une chambre minable, un flacon de somnifères à la main».

certaines mythologies de I'idéologie dominante pour les réinvestir de signifiés nouveaux. Fasciné par le star system, il y voit la dernière présence de I'humain qui mérite d'être vivifiée. D'où Son attachement pour le cinéma muet et les principes qui La stratégie de Gérard Courant participe à la fois du publicitaire et de l'expérimental. Il s'agit de détacher en quelque sorte ont donné naissance au Cinématon. Chez Gérard Courant, le politique s'inscrit dans le langage, s'articule autour de données esthétiques dont la dimension photographique constitue une sorte de clé de voûte.

Michel Larouche,
Université de Montréal
Faculté désespérée arts et des sciences
Département d'histoire de l'art